“Que la fête commence!”

Avez-vous déjà réfléchi à la façon dont, dans de nombreux pays, les gens reçoivent leur salaire, dans des pays où il n’y a ni agences bancaires, ni réseau téléphonique ?

Si en Occident, les salaires sont versés sur nos comptes bancaires, chaque mois, au Congo, à l’intérieur du pays, loin des grandes villes, le paiement est légèrement différent…

En 2012, le gouvernement congolais a rendu obligatoire le versement de tous les salaires de fonctionnaire d’état sur des comptes bancaires. Auparavant, les employés du gouvernement recevaient leur salaire en espèces, de la main de leurs supérieurs.

Ce sont environ 800 .000 fonctionnaires, policiers et militaires qui ont dû être « bancarisé », par l’ouverture d’un compte personnel, afin que leur salaire leur soit directement transféré, évitant ainsi le vol par des intermédiaires.

Pour beaucoup, les paiements directs ont révélé des réalités choquantes, certains ont découvert que, dans le passé, ils n’obtenaient pas la totalité de leur salaire. Des intermédiaires, des patrons ou des généraux avaient ainsi, des années durant, volé de grosses sommes d’argent, sans jamais être inquiétés, mais la « bancarisation » a changé tout cela. Les personnes qui ont maintenant un compte bancaire reçoivent directement la totalité de leur salaire sur leur compte, compte dont ils peuvent retirer de l’argent au guichet d’une succursale de la banque.

Si l’enregistrement et le paiement des fonctionnaires est déjà un travail infernal dans les grandes villes, c’est très certainement vrai pour les régions les plus reculées (le Congo a quasiment la taille de l’Europe), régions où il n’y a ni agences bancaires, ni même de réseau de téléphonie mobile.

Dans ces zones reculées, l’économie est toujours exclusivement liée au « cash » et les gens doivent pouvoir accéder à leur salaire en numéraire. Les banques doivent, quant à elles, payer la totalité des fonctionnaires, pas seulement ceux présents dans les centres urbains, mais aussi tous ceux qui habitent dans des endroits plus isolés. Des agents bancaires doivent donc affronter, chaque mois, la jungle congolaise afin de payer les salaires dans les endroits les plus retirés.

C’est un rituel mensuel qui a lieu partout dans le pays. Payer ces fonctionnaires à l’intérieur du pays n’est pas aisé et n’est pas sans risque. En septembre 2015, 13 personnes ont été tuées à Uvira alors qu’un convoi d’argent était pris en embuscade.

Environ 4 000 fonctionnaires doivent donc percevoir leur salaire dans les villages situés entre les villes de Bandundu et Inongo, soit une distance d’à peine 200 km, mais des routes, à peine praticables, rendent ce périple lent et difficile, trois bonnes semaines sont nécessaires pour remplir une telle mission.

Le 4×4 s’embourbe de nombreuses fois tout au long de ces kilomètres, doit traverser de nombreux ponts branlants, emprunter des ferries surpeuplés, ceci sans parler des pluies tropicales qui font régulièrement tomber des arbres et qui retardent le passage du véhicule.

Kris Pannecoucke, réalisateur de “RDC: le long chemin d’un salaire”, a voyagé avec deux agents bancaires, et il est le témoin du voyage ardu d’un salaire au Congo.

Trois semaines de transhumance, avec des gardes armés qui transportent des caisses et des sacs remplis de billets de banque, à travers une jungle infranchissable pour arriver dans des communautés très isolées. Malgré ce voyage, certains fonctionnaires doivent encore voyager, parfois jusqu’à deux jours, pour atteindre le lieu où leurs salaires leur seront payés.

Arrivés au village, les agents bancaires recherchent alors une salle de classe ou une hutte pour payer les fonctionnaires de la région qui sont repris sur les listings de la banque. Si aucune classe n’est disponible, ils paieront à l’intérieur de la jeep ou sous un arbre. Pendant une à deux journées, ils paieront sans relâche, avant de se rendre sur le site suivant.

Ces sites de paiements attirent des commerçants de toutes sortes, ils savent qu’il y a de l’argent à dépenser. “Que la fête commence!”. Des créanciers suivent le convoi, car ils savent que le moment est maintenant venu de récupérer l’argent prêté à intérêt élevé.

Dans un pays où la pauvreté est omniprésente, les agents bancaires doivent être vigilants …

« RDC : le long chemin d’un salaire », un documentaire de Kris Pannecoucke à découvrir sur ARTE Reportage.